L’accroissement du nombre de brevets dans le monde, et le développement de l’innovation ouverte conduisent à une multiplication des accords de licence et de transfert de technologie. Nécessairement constatés par écrit, ils interrogent sur l’organisation juridique à mettre en place pour en faciliter et accélérer la négociation et la rédaction.

Naturellement, le contrat-type apparait comme un outil répondant en partie à cette problématique, et se développe dans beaucoup d’organisations.

Dans votre approche du transfert de technologie, vous affichez un certain recul vis-à-vis des contrats-types. Pouvez-vous nous en expliquer la raison ?

Les accords de licence entre grands de l’électronique, de la communication ou de l’informatique bénéficient d’une médiatisation importante, pour des raisons liées aux sommes mises en jeu, à la notoriété des marques concernées, et au fait qu’elles s’adressent au grand public. Par suite, les approches utilisées dans ce cadre sont plus souvent citées en référence, et considérées comme des “bonnes pratiques”.

Les contrats de licence y sont souvent relatifs à des technologies standardisées, généralement déjà maîtrisées par les licenciés potentiels, et donc sans réel transfert de technologie ou de savoir-faire. Ils sont par ailleurs pour la plupart soumis à l’obligation de respect de règles dites “FRAND”, imposant d’offrir des conditions identiques à tous les licenciés.

Dans ce cadre, avoir un contrat type est réellement pertinent.

Mais quand on parle de transfert de technologie effectif vers une entreprise industrielle, chaque cas est différent, et aucun contrat prédéterminé ne peut correspondre parfaitement à l’accord à mettre en place.

Il convient dès lors d’utiliser de façon raisonnée des outils tels que les contrat types, et de faire les choses dans l’ordre, c’est-à-dire d’abord négocier, avec une approche business, pour construire la collaboration, et ensuite rédiger le contrat correspondant, avec toutes les exigences juridiques nécessaires.

Et satisfaire ainsi à l’adage “On ne négocie pas un contrat, on négocie une collaboration !”.

Mais alors comment élaborez-vous ces contrats de transfert de technologie ?

Collaborer veut dire “travailler ensemble”, cela doit déterminer l’approche à mettre en œuvre. Si je veux gagner, il faut que mon partenaire gagne aussi. Nos succès sont consubstantiels, et vouloir “remporter” la négociation est une erreur stratégique.

Dès lors, le contenu du contrat s’impose de lui-même : parce que mon licencié doit gagner, il doit disposer de l’ensemble des droits et mesures nécessaires à l’exploitation de la technologie dans les meilleures conditions possibles, et le contrat doit donc lui offrir “tout ce dont il a besoin”. Dans le même temps, je dois aussi gagner, et protéger mes intérêts, ce que je fais en ne lui concédant “que ce dont il a besoin”, et parfois en considérant d’éventuelles restrictions indispensables.

Cette approche permet à la fois de mener une négociation intelligente et plus rapide, mais structure de fait le contrat. Une discussion approfondie sur les besoins du licencié doit déterminer très exactement ceux-ci en matière de propriété intellectuelle, fondement de cette collaboration, et aboutir à une liste précise des droits nécessaires. S’y ajoutent les besoins en termes d’accompagnement, de formation, de mise à disposition de matériel, ou de toute autre chose requise pour cette exploitation.

L’établissement de cette liste, complétée des habituelles clauses administratives et/ou purement juridiques, fournit l’ossature du contrat.

Est-ce à dire que vous n’avez pas de bibliothèque de contrats, et partez de zéro à chaque négociation ?

Évidemment non, pour trois bonnes raisons.

D’abord, parce que cette réflexion ne s’applique pas de façon aussi stricte à tous les types de contrats.

Par exemple, un contrat de confidentialité se prête très bien à l’utilisation d’un contrat-type, les points à discuter étant systématiques, et bien identifiés.

Ensuite, parce qu’une négociation requiert une préparation minutieuse, dans le processus duquel il faut se poser la question de ce que serait notre “contrat idéal”, qu’il convient de formaliser pour bien fixer les idées. Et bien que ce document sera de façon certaine complètement modifié par la prise en compte des besoins de notre partenaire, il reste un document de référence pour le négociateur : il lui sert de “check-list“, pour être sûr d’avoir abordé tous les points de la négociation, et d’instrument de mesure, pour situer mentalement et à chaque instant les termes actuels de la négociation par rapport à ses attentes.

Enfin, parce qu’une fois la négociation aboutie, il convient, comme déjà énoncé plus haut, de transposer les termes de l’accord business en un texte juridique : c’est la rédaction du contrat lui-même. C’est un exercice minutieux, qui requiert l’utilisation de termes et tournures juridiques extrêmement précis, dont la réécriture systématique serait fastidieuse, et disons-le, inutile.

Un clausier, ou contrat-type proposant plusieurs versions de chaque clause, se révèle alors un outil précieux pour gagner du temps.

On parle beaucoup de l’Intelligence artificielle, que l’on dit déjà capable de faire le travail de rédaction. N’est-ce pas une validation de facto de l’utilisation de contrats-types comme nouvelle « bonne pratique » ? Comment voyez-vous cette évolution ?

C’est une question très intéressante. Parce qu’effectivement, les « robots », au sens large du terme, vont peu à peu assurer une partie de plus en plus importante de la rédaction des contrats, c’est certain.

Sans entrer dans les détails de la différenciation entre systèmes experts (déjà très performants) et intelligence artificielle (encore balbutiante quant à la maîtrise des questions de droit), les robots pourront compulser de plus en plus d’informations et de statistiques pour, dans un contexte donné, rédiger un contrat dont la qualité va s’améliorer très rapidement.

Cela revient à imaginer un clausier avec un très grand nombre de variantes, impossible à gérer pour un cerveau humain, mais réalisable par le robot, qui réduira au fil du temps la valeur ajoutée de l’intervention d’un rédacteur.

Pour autant, la définition dudit contexte fait intervenir des facteurs que le robot ne trouvera pas dans ses documents accessibles, et qui peuvent défier ses statistiques : les facteurs humains.

Je n’en citerai que deux pour fixer les idées, la volonté des parties, et la confiance.

Sauf à admettre que les statistiques prédictives de la réussite d’une coopération puissent s’imposer aux parties prenantes, et c’est peut-être là notre Épée de Damoclès, il faudra encore des discussions entre les parties, et des spécialistes capables de traduire les arbitrages humains en informations assimilables par le robot rédacteur. En tous cas, pour l’instant …

Finalement, en revenant à nos modes actuels de rédaction des contrats, quelles sont, selon vous, les difficultés majeures de cet exercice ?

Il y aurait long à dire sur les difficultés de la rédaction d’un contrat, mais relevons-en deux avec une attention particulière.

La première tient précisément à l’utilisation d’un contrat check-list et/ou clausier, qui, comme nous l’avons dit, peut aider à la fois à la négociation et à la rédaction proprement dite.

Il faut alors lutter contre deux tentations : vouloir absolument faire figurer dans le contrat toutes les clauses mentionnées dans la check-list (« La check-list me sert à vérifier que je n’ai rien oublié. » !), et faire du “copier-coller” à partie du clausier (« C’est un clausier validé par nos juristes, je peux copier les clauses telles quelles. » !).

Non, toutes les clauses répertoriées ne sont pas forcément nécessaires au contrat, et dans certains cas peuvent même nuire à la négociation. Et si un clausier aide à la rédaction, il reste que chaque négociation est un cas particulier, à la lueur des spécificités duquel chaque clause doit être réévaluée.

Complétons cet avertissement en mentionnant deux des principaux risques encourus lors de la négociation, dans l’utilisation de ces contrats/clausiers : la tentation de se passer d’une discussion préalable et de démarrer la négociation « en suivant la check-list », et celle de mener la négociation en suivant « dans l’ordre » les causes de cette check-list.

C’est la négociation préalable qui doit décider de la check-list choisie (car chacun doit en disposer de plusieurs, qui différent selon le contexte global !), des clauses qui en seront retenues et de celles qui n’ont pas à figurer dans le contrat.

Quant à l’ordre des clauses dans la négociation, il diffère évidemment de l’ordre traditionnel de leur disposition dans un contrat, lequel résulte de pratiques juridiques et non d’une approche business ou d’une démarche cohérente de négociation.

La deuxième difficulté tient à la capacité de traduction entre enjeux business et rédaction juridique.

Comme en latin, l’exercice de version est plus facile que celui du thème, tout simplement parce qu’il est plus facile de structurer l’idée, ou de vérifier l’acuité de sa description, dans son langage naturel.

Ainsi, des compétences juridiques sont indispensables pour rédiger correctement ce document dont il faut bien rappeler qu’il constitue ensuite la loi entre les Parties ! Les compétences business sont quant à elles indispensables pour valider cette écriture, en en retransposant les obligations juridiques en termes d’incidences sur la collaboration proprement dite, ou, pour la partie receveuse, pour analyser la proposition de licence qui lui est faite.

Comme souvent en matière de propriété intellectuelle, c’est un binôme qui doit travailler à l’exercice.

Un des enjeux est évidemment de faire se parler, et surtout se comprendre, les représentants de ces deux mondes. C’est d’ailleurs tout l’intérêt d’un “facilitateur”, un expert qui serait à l’aise dans les deux approches …

[ Article-interview publié initialement dans le blog de l’IEEPI, rubrique “Parole d’experts” ]