« Suis-je assuré d’une exploitation paisible ? »

La question est d’importance pour tout dirigeant d’entreprise industrielle, cruciale pour garantir le bien-fondé de ses investissements.

Exploiter une technologie requiert trois préalables : l’existence de la technologie, le savoir-faire nécessaire à sa mise en œuvre, et le droit de la mettre en œuvre.

Les brevets étant finalement des « droits d’interdire », ils ne garantissent pas à leur titulaire (ou à ses licenciés) ce « droit de faire » : c’est l’objet de l’étude de la liberté d’exploitation d’en vérifier la réalité.

 

L’ingénieur brevet, acteur clé de l’étude

L’ingénieur brevet va donc, dans un premier temps, recueillir les informations sur les brevets de tiers qui pourraient être bloquants, essentiellement parce qu’ils protègent une technologie amont dont la nôtre découle et en est juridiquement « dépendante », ou parce qu’ils verrouillent une (autre) brique essentielle à la mise en œuvre opérationnelle de notre technologie.

En les décortiquant, il va pouvoir estimer si et dans quelle mesure ces brevets représentent effectivement une gêne, qualifier et peut-être quantifier le risque afférent, et se positionner le cas échéant sur la solution lui paraissant la meilleure pour retrouver la capacité à exploiter : prise de licence, modification de la technologie, solution technique alternative, ou tentative d’annulation du brevet gênant. Ou au pire, préconiser l’abandon le projet…

 

Mais … l’ingénieur brevet ne peut pas tout !

Une erreur couramment observée consiste à considérer que ce travail de l’ingénieur brevet va à lui seul fournir la réponse à notre interrogation. Car quelle que soit son expertise et son professionnalisme, et quelle que soit la précision de cette recherche, ce n’est qu’une moitié de l’analyse qui est ainsi réalisée !

En effet, chaque invention, chaque brique technologique, a une histoire. Elle découle du travail de plusieurs personnes physiques et/ou morales, qui ont collaboré de près ou de loin et sont liés par des accords, formalisés de façon plus ou moins précise ou experte, et parfois même non formalisés : les contrats.

 

Les contrats, causes de limitation de la liberté d’exploitation

Leurs multiples clauses peuvent obérer la liberté d’exploitation, soit du fait d’obligations portées à l’exploitant, soit par des limitations ou restrictions à son action. Une liste à la Prévert, de loin non-exhaustive, citerait la réservation d’un domaine d’application par un partenaire, un droit de préemption, une interdiction de sous-licencier, une autorisation préalable du partenaire, une limitation dans le temps, les droits d’un copropriétaire, une obligation de confidentialité, ou encore une quantité maximale autorisée.

Ajoutons que l’exploitation est également soumise aux règles de la concurrence, lesquelles s’appliquent aussi et paradoxalement à la propriété intellectuelle, et bien sûr à des contraintes administratives nécessitant là encore parfois des autorisations préalables, ou imposant des limitations.

D’autres questions sont à se poser, mais qui feront l’objet d’un article futur, comme celles liées aux inventions de salariés, et … de non-salariés.

 

Et voilà le deuxième membre du binôme !

Ainsi apparaît le deuxième acteur clé de l’étude de liberté d’exploitation : le juriste en propriété intellectuelle !

C’est son expertise qui va, à l’instar du travail fait par son binôme, explorer de façon exhaustive tous les documents contractuels liés de quelque façon que ce soit à l’histoire de cette invention, et impliquant l’exploitant. A noter que si l’exploitant est licencié, les vérifications doivent également être faites auprès du titulaire des droits, concédant de la licence.

Le juriste va lui aussi énoncer les contraintes qu’il a constatées, et là encore, soupeser le risque, et imaginer les solutions pour l’amenuiser.

 

Une étude à deux pôles et deux acteurs

La liberté d’exploitation « résultante » sera la combinaison, l’intersection de celles décrites par les deux analyses, et son élargissement devra impérativement prendre en compte tant les aspects brevets que les aspects contractuels.

Cette étude est donc bicéphale : l’ingénieur brevet et le juriste propriété intellectuelle y forment un binôme indissociable, qui interagit de façon itérative dans cette analyse croisée, et constitue une des clés de voute de la décision d’investissement, en approchant au plus près la réponse à la question du dirigeant : « Suis-je assuré d’une exploitation paisible ? ».